"Pour n'en garder que les quintessences..." (A.R.)

jeudi 21 juin 2007

"Chromophobia" de Raoul Servais

"A qui la faute ?" de Victor Hugo + ma contribution à l'article "violences urbaines" de Wikipedia

A qui la faute ?


Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?

- Oui.
J’ai mis le feu là.

- Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore.
Quoi ! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais
finir,
Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ;
Il luit ; parce qu’il brille et qu’il les illumine,
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d’esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître
À mesure qu’il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur ; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l’homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C’est à toi comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !

- Je ne sais pas lire.



Victor Hugo
25 juin 1871
----


Vidéo : Antonio Gades.El Amor Brujo. Danza del Fuego Fatuo.
---
Voici de plus ma contribution personnelle à l'article "Violences urbaines" de Wikipedia :

"Les jeunes aggressifs et violents des banlieues françaises sont généralement beaucoup plus exposés et réceptifs aux discours de réussite et d'énergie individuelle véhiculés par les médias qu'aux discours d'humanisme et de solidarité peu présents dans ces mêmes médias et qui, de toute, façon ne sont pas ressentis comme réellement fondés dans l'idée et l'expérience que ces jeunes se font de la société et de ses institutions. Les valeurs non fondées sur une expérience ne peuvent qu'être difficilement acquises. Leurs complexes et leurs problèmes d'amour-propre ou d'estime de soi sont clairement identifiables dans l'attitude, le langage corporel, les préoccupations vestimentaires et la tonalité de la voix qui cherche avant tout à trouver / à se donner de l'importance aux yeux de soi-même et dans le regard des autres. Face à l'échec scolaire, à la misère économique et à l'absence de perspectives ou à la difficulté de faire des projets de vie future, extrêmement tourmentés par le sentiment d'échec de l'ego relatif aux critères de réussite véhiculées par la société et les médias (tels que par exemple : créer son entreprise, réussite individuelle, consommation, apparence, concurrence, jeux d'élimination du type Star Academy, Loft Story etc.), ils trouvent par exemple refuge dans la fierté du rebelle ou du pseudo-gangster (cf Gansta rap) qui réussit par d'autres moyens plus dangeureux et donc plus "énergiques" que la ceux de la vie honnête. À l'instar de Tony Montana, personnage du film "Scarface" de Brian de Palma, film culte pour beaucoup de ces jeunes. Ce faisant ils déplacent le discours dominant de réussite à la recherche d'une forme de fierté. La réalisation d'un "exploit" dangeureux devient alors un moyen de réaliser une forme d'auto-"valorisation" initiatique. Les modèles et stéréotypes véhiculés par la télévision commerciale constitue souvent leurs principales références culturelles. Or la culture commerciale met surtout l'accent sur l'apparence et la réussite individuelle. On comprend alors à quel point il est difficile en cas de frustration de l'apparence (adolescence, racisme...) et de frustration de la réussite individuelle (quartiers défavorisés, échec scolaire, sexualité...) de se positionner par rapport à ces modèles et stéréotypes en tant qu'individus intégrés, équilibrés et confiants. Les déplacements, défoulements et autres ersatz psychologiques font donc partie du quotidien : attitudes intimidantes, démonstrations de puissance et de force en véhicules à moteur, etc.
Notons que les jeunes qui pratiquent avec succès une activité culturelle (musicale, sportive...) sont généralement moins sujets à des crises de violence. Le sentiment d'être "humilié" d'une manière ou d'une autre décuple a contrario celles-ci de façon spectaculaire.
Par ailleurs, la violence, la fébrilité, les drogues douces et l'aggressivité permettent également de limiter la survenue de dépressions par des bouffées d'énergie. Beaucoup de jeunes violents ont des difficultés d'expression (mauvaise maîtrise de la langue et des mots pour le dire, vocabulaire manquant) ce qui ne peut qu'accentuer les frustrations par le refoulement subordonné à une virilité refuge, gardienne d'un amour-propre constamment menacé et qui tend donc à "durcir" l'individu en bannissant les faiblesses et les excès de sensibilité. La culture de la violence devient alors, par défaut, une carapace, un dopant, une habitude, un cercle vicieux.
L'incivilité et la dégradation (par exemple du mobilier urbain) sert autant de catharsis psychologique et physique que de refus catégorique d'être ignoré, marginalisé, invisible, absent des préoccupations de la société et des autres. Il s'agit de lutter contre la frustration en forcant son existence au monde, d'imposer un respect non pas moral mais un respect au sens de "reconnaissance de mon existence forte et vive", de "ma présence en ce monde" également révélé par le succès des "tags" et du vandalisme.
Ce phénomène est également caractérisé par la définition et redéfinition continuelle des rapports de force et de domination entre les jeunes eux-même (moqueries diverses,jeux de provocation...) et vis à vis des symboles d'autorité (police, établissements publics, mobilier urbain) voire des individus d'autres catégories sociales ou ethniques, mais parfois aussi par la découverte du plaisir de se sentir "dangereux", donc d'une certaine façon "pour une fois" dominant et fort. Un déplacement de la recherche psychologique de dignité peut donc être avancé comme l'une des causes des comportements violents. "


----

J'écris fort de mon expérience : j'ai grandi à Aulnay sous Bois et ex-prof vacataire dans des lycées "sensibles" du 93. Je crois beaucoup au pouvoir bienfaiteur du savoir, de l'art, de la beauté et de la culture, bref des "Lumières" pour humaniser une société qui crève de l'appauvrissement culturel généralisé dans lequel certains aimeraient enfermer la conscience de la partie la plus fragile de nos sociétés. Ce n'est pas nouveau : le fond inaugure la forme. Ce sont les idées et nos consciences qui peuvent améliorer, protéger et embellir le monde pour nous, vous, lui, elle, toi et moi. Elles font leur chemin sous diverses formes. Elles virevoltent d'une tête à l'autre et constituent autant de "fonds" inaugurant les formes et les actions de demain. Pour combattre l'obscurantisme, l'inconscience, l'étroitesse, la pauvreté intellectuelle, les dogmes neutralisants, les idées arrêtées ou fossilisées, diffusons, encourageons et partageons l'art et le savoir le plus largement possible dans sa diversité qualitative contre la quantitativophile monochromie et la narcose commerciale ! L'artiste moderne travaille la matière de son époque et modèle le visage du futur et contribue aux qualités de vie. L'histoire n'est jamais terminée et reste toujours à raconter. L'artiste est celui qui réveille, alimente et remue les essences de l'âme. Et ainsi permettre à d'autres d'être "forts de leur expérience"...